par nanard » Lun 19 Mar 2012 18:46
Dès l'entrée en guerre des USA contre le Japon, après Pearl Harbor, il fut clair que les Américains manqueraient de P.A., aussi, décidèrent-ils, au premier trimestre 1942, d'achever, en P.A. léger, des coques de croiseurs légers de type Cleveland, dont une série de 37 exemplaires !!! était prévue. Les travaux de transformation furent rapidement menés par les chantiers de la New York Shipbuilding de Camden, New Jersey, et le premier bâtiment de la série, qui d'ailleurs lui donna son nom, l'Independance, fut achevé le 14 janvier 1943.
Comme pour ses huit sistership, la réalisation de ce P.A. consistait à installer un hangar et un pont d'envol sur une coque, des bulges bien visibles étant ajoutés de chaque côté de la coque pour améliorer sa stabilité.
Le résultat aurait fait frémir plus d'un architecte naval traditionnel, mais l'US Navy put ainsi rapidement disposer de neuf P.A supplémentaires qui, aux côtés des grands porte-avions de type ESSEX mettant trois à quatre ans pour devenir opérationnels, constituaient la force nécessaire pour arriver aux portes du Japon en août 1945. La rapidité avec laquelle ces navires furent conçus et réalisés, fut la preuve la plus sure de la puissance de l'industrie de guerre américaine.
Le sixième P.A. léger, initialement un croiseur nommé Fargo, reçu d'abord le nom de Crown Point, puis fut rebaptisé Langley le 12 novembre 1942. Lancé le 22 mai 1943, il fut armé pour entrer en service dès le 31 août suivant, et engagé en missions de guerre du 29 janvier 1944 à mai 1945, dans le Pacifique, sans interruption, puisque, parti de Pearl Harbor le 19 janvier 1944, il participa notamment aux batailles des Mariannes, de Leyte et d'Okinawa.
Légèrement touché par une bombe le 21 janvier 1945, il put être réparé à Ulithi, un atoll servant de base avancée. Après diverses péripéties de remise en état et de modernisation aux Etats-Unis en juin 1945, il revint à Pearl Harbor le 8 août suivant, quasiment pour la fin des combats du Pacifique, juste à temps pour rejoindre la flotte qui devait couvrir l'invasion du Japon, qui capitulera le 15 du même mois, avant que l'offensive prévue ne puisse se réaliser.
Le Langley, comme bien d'autres, servira un temps de transport pour rapatrier les soldats américains au pays, mais son bilan militaire impressionnant ne l'empêcha pas d'être désarmé début 1947.
Après la fin de la seconde guerre mondiale sur le front de l'ouest, la France n'avait plus la capacité financière, matérielle et technique pour reconstruire une flotte qu'elle voulait à l'image de celle de 1939, une des plus puissantes du monde, sabordée, pour sa plus grande partie à Toulon, fin 1942. Un P.A. comparable à l'Arromanches, nommé Clemenceau fut commandé puis provisoirement abandonné. Ce fut la guerre froide qui permit à la Marine de bénéficier de l'aide américaine, dans le cadre du Pacte d'Assistance Mutuel de l'OTAN, autrement appelé MDAP, avec des crédits pour construire des bâtiments et le prêt de navires américains datant du récent conflit, à ce moment désarmés, dont le Langley, maintenu en réserve à l'arsenal de Philadelphie, Pennsylvanie.
Pour l'OTAN, la France devait être en mesure de fournir trois groupes ASM en Atlantique, chacun étant formé d'un P.A. et d'escorteurs. Un premier navire, le Langley fut transféré à la France le 2 juin 1951 et baptisé La Fayette. Les flottilles 12 F et 4 F participèrent à l'entraînement au large de Norfolk, Virginie, sur la côte est des USA, sur F6F-5 Hellcat pour les premiers, SB-2C Helldiver pour les autres. Plus petit que l'Arromanches, il était équipé de deux catapultes hydrauliques de type H-21, pouvant lancer un avion toutes les soixante secondes.
Elles étaient placées à l'avant du pont d'envol droit de 21 mètres de largeur à l'arrière, pour seulement 18 mètres à l'avant, majoritairement en bois, comme de rigueur à l'époque.
Une lourde sujétion était due à l'absence de parkings permanents. Lors des opérations aériennes à un rythme soutenu, seuls les appareils indisponibles étaient au hangar, sous le pont d'envol. Les avions opérationnels restaient sur le pont, massés sur l'avant pour libérer l'arrière lors des appontages, ou rangés à l'arrière pour les lancements, les mouvements étant donc incessants.
Après les catapultes déjà évoquées et un peu en avant de l'ilôt, on trouvait le premier ascenseur hydraulique, reliant pont et hangar.Plus loin vers l'arrière, la zone réservée aux appontages, avec ses neufs brins d'arrêt et un autre ascenseur, axial de la piste, comme le premier. De 12,45 m de large et 13,05 m de long, ils pouvaient supporter une masse de 12,7 tonnes et monter un appareil de 7,6 tonnes sur le pont, toutes les 45 secondes. Un monte-charge pour les munitions s'y ajoutait.
Le hangar, haut de 5,28 m et long de 72,20 m, était à peine suffisant pour abriter un groupe aérien normal, vingt avions ailes repliées. Comme tous les P.A. américains de cette période, ce hangar pouvait être largement ouvert sur l'extérieur, grâce à de grands volets roulants; les moteurs pouvaient donc y être mis en marche.
Les incidents et accidents étaient relativement courant car, dans le cas de la piste droite, un avion appontant ne pouvait pas repartir. Il accrochait un brin et s'arrêtait, ou bien il les ratait, quelque soit la cause, et était bloqué par les 3 barrières en câbles d'acier, n'arrangeant en rien le profil de l'avion. Dans le pire des scénaris, il rebondissait sans prendre les brins, sautait les barrières et s'écrasait sur les avions parqués à l'avant, avec ou sans pertes humaines et ce n'était malheureusement pas une hypothèse de travail. C'est sans doute la raison de cette multitude de brins d'arrêt, donner plus de chance au pilote d'en accrocher un.
En regardant vers l'arrière, on voyait quatre conduits obliques empiétant, à tribord, sur le pont. C'était simplement les conduits de fumées débouchant sur les quatre cheminées, donnant au bâtiment son allure curieuse, dû à une adaptation hâtive, fonctionnelle, mais réussie.
Sa propulsion était classique, elle restait celle prévue pour le croiseur originel. Elle comprenait des chaudières Babcock et Wilcox à petits tubes d'eau et à foyer à flamme directe, séparés par le faisceau tubulaire du surchauffeur. Le timbre était de 42 Kg/cm2 et la température de surchauffe de 450 °C. Chaque chaudière produisait normalement 96 tonnes de vapeur par heure, celle-ci arrivant par des collecteurs sur la turbine HP à simple flux, tournant à 5780 t/mn, puis récupérée pour être envoyée sur une turbine BP, dont la vitesse de rotation était de 4714 t/mn.
Les arbres de ces deux turbines engrenaient avec un réducteur à deux niveaux de réduction, entraînant, à sa sortie, un arbre d'hélice qui, au maximum, tournait à 350 t/mn.
Cette description est bien sûr à multiplier par quatre et il faudra le carburant en conséquence, soit un maximum possible de 2320 tonnes. Elles lui permettaient une vitesse de 32 noeuds, très prisée pour l'époque, les performances du P.A. restant très proches de celles du croiseur qu'il avait failli être.
Les Américains avaient privilégié autonomie et robustesse, plutôt que performance pure, les distances, dans le Pacifique se situant à une autre échelle que celles de la Méditerranée ou même de l'Atlantique. Malgré tout, la vitesse maximale pratique, celle qui pouvait être soutenue lors des manoeuvres d'aviation, était de 29 noeuds, correspondant à 300 t/mn aux hélices et 22 tonnes de mazout à l'heure. L'autonomie était limitée à 2800 nautiques, mais permettait de lancer ou de ramasser ses avions armés, y compris par vent nul, ce qui n'était pas le cas de l'Arromanches. En temps de paix, seules deux chaudières fonctionnaient, permettant de descendre cette consommation à 3,5 tonnes à l'heure et de porter l'autonomie à 7825 nautiques.
La protection des 1400 hommes de cette B.A.N. flottante, était assurée par un radar de veille aérienne SK-2, immense antenne de 5 mètres de diamètre, remplacée, lors du grand carénage de 1958, par un radar américain SPS-6, auquel était adjoint un radar de sitométrie SP, pour le contrôle des avions. L'artillerie de bord, entièrement antiaérienne, totalisait 26 canons de 40 mm, soit 9 canons doubles, 5 à bâbord et quatre à tribord, ainsi que 2 affuts quadruples, placés, l'un à la proue, l'autre à la poupe, impressionnants d'efficacité, bien des pilotes japonais leur devant un repos éternel. S'y ajoutaient 10 canons de 20 mm, répartis en 5 affuts doubles, l'ensemble de cette artillerie étant équipée d'une conduite de tir faite par 2 télépointeurs Mk 63 avec viseur optique Mk 15 et radar Mk 28, 2 télépointeurs Mk 57, équipés du même viseur optique et d'un radar Mk 34 et 7 télépointeurs Mk 51 avec viseur Mk 14, implantés au voisinage des canons.
Il participera à la campagne d'indochine, en partant pour la zone des combats en mars 1953, où il opéra durant un bon mois avec les flottilles 9 F et 12 F, laissées par l'Arromanches. Le grand carénage de février à septembre 1954, sera l'occasion de l'équiper de moyens de détection plus performants, il avait onze ans et bien des techniques avaient évoluées, toilettage technologique qui sera renouvelé en 1958. Le La Fayette posséda sa propre Section de Servitude de avril 1954 à mai 1956, elle se composait de deux hélicoptères HUP2, provenant de l'escadrille 58 S et deux SB-2C. Cette section disparaîtra, la mission Pedro étant reprise par l'escadrille 23 S.
Outre les croisières et manoeuvres courantes, il retournera deux fois en Extrême Orient, d'avril à juillet 1955, pour couvrir l'évacuation du Tonkin et, avec la 15 F, de janvier à juin 1956, pour des exercices avec la marine britannique. il sera aussi de l'expédition franco-britannique avortée de Suez, fin octobre 1956, avec les flottilles 14 et 15 F. Sa capacité d'avions était limitée à 26 appareils en opérations, 101 en mission de convoyage.
L'adaptation du navire américain aux us et coutumes françaises, posa quelques problèmes de spécificité, comme l'alimentation en vin ! Les Américains n'avaient, et pour cause, rien prévu à ce sujet qui resta une pomme de discorde, les Français n'ayant jamais eu l'autorisation d'aménager des cuves pour le cambusard. La seule solution sera l'embarquement de vin en fûts de 125 litres, soit 200 fûts pour 30 jours.
Autre exemple, le P.A. n'était pas prévu pour porter la marque d'un officier général, entraînant une certaine valse des logements. L'amiral de passage prenait l'appartement du commandant, qui lui-même prenait celui de l'officier en second, etc...
Par contre, les plus étaient sa vitesse, comme déjà évoquée et la découverte, par les marins français, des cafétérias en lieu et place des repas à la gamelle, la formule se généralisera par la suite.
Après un grand carénage d'août 1958 à septembre 1959, il sera retiré du service actif le 1er janvier 1963 et restitué par la Marine aux Etats-Unis, le 20 mars suivant.
Il sera démoli en 1964, après condamnation administrative, il avait parcouru 526 000 miles, dont seulement 180 000 sous pavillon américain et avait subi, sous le seul pavillon tricolore, 19 805 appontages et 6502 catapultages. Cette différence considérable entre les deux nombres, s'explique par la vitesse du navire qui, jointe au vent relatif et à la technologie des avions de l'époque, permettait un nombre important de décollages sans recours à la catapulte.
Son indicatif radio était Figaro et son marquage OTAN, sur l'avant tribord du pont d'envol, un Z, la lettre L étant déjà attribuée à un autre P.A. qui n'était autre que le Bois-Belleau.
Les équipages de l'Aéronautique navale l'ayant pratiqué, durant la guerre d'Indochine lui avait donné le surnom de La Faillite.
A titre anecdotique, concernant l'entente, pas toujours cordiale entre le bord et les flottilles, la 12 F quittant le La Fayette, fit un premier passage en formation au-dessus du P.A., puis, remontant le sillage un par un, ils larguèrent des rouleaux de papier hygiénique déroulés, remerciant ainsi de "l'excellent accueil" rencontré à bord. Ambiance...