Lorsque l'US Navy lance son programme de porte-avions de classe United-States, elle demande aux constructeurs aéronautiques de plancher sur des bombardiers nucléaires stratégiques embarqués.
Avec sa fameuse directive OS 111.
En parallèle, l'US Navy lance un second programme, assez similaire, mais ou les appareils devront avoir des performances nettement plus élevés que ceux de l'OS 111, en particulier en terme de vitesse.
Cette directive, l'OS 115 (Outline Specification 115) doit permettre à l'US Navy de se doter d'un appareil d'attaque à long rayon d'action.
Cette OS 115 est doté de seulement sept spécifications imposées, mais elles sont nettement plus contraignantes que celles, plus nombreuses, de l'OS 111. Surtout que nous sommes en Août 1948.
En outre ces appareils devront pouvoir être mis en œuvre depuis des porte-avions Essex-Class.
Les appareils d'attaque de l'OS 115 devront avoir:
-une capacité d'emport d'une charge de 4 450 kg de bombes classiques ou nucléaires
-une masse maximum de 45 400 kg
-un plafond pratique de 12 000 mètres
-une vitesse de croisière avant et sur l'objectif supérieure à Mach 1,2
-une vitesse de croisière hors zone de risque supérieure à Mach 0,92
-Un rayon d'action de 1 700 nautiques.
Pour le reste, l'US Navy laisse carte blanche aux constructeurs et à leurs bureaux d'études.
L'appareil peut être un système d'arme unique.
Il peut également être doté d'un pod largable.
Ou bien encore, l'appareil peut être constitué de deux parties, dont une seule serait en mesure de revenir à son point de départ, la seconde étant abandonné avant, au dessus ou après l'objectif.
A la lecture des spécifications ci-dessus, vous allez vite vous rendre compte que le Model 245 de Glenn Martin ne tient compte de quasiment aucune des directives.
L'avionneur a décidé de proposer à l'US Navy un appareil capable d'opérer depuis des bases à terre, des porte-avions et de manière autonome sur mer. Le concept de base s'articule donc autour d'un hydravion.
L'appareil se présente sous la forme d'un biplace, quadri-réacteur à aile delta avec une flèche de 36°.
La particularité principale de l'appareil vient du fait qu'il dispose d'un coque largable qui lui permet de passer d'une configuration hydravion en configuration d'appareil classique ayant la capacité d'apponter sur un porte-avions.
Glenn Martin va développer quatre versions de son Model 245.
le Model 245-1: Version de base avec une coque et des ballonnets largables.
le Model 245-2: Version catapultable avec un train de roues largable.
le Model 245-3: Version destiné à l'entrainement, doté d'un train d'atterrissage rétractable pour opérer depuis des bases aériennes.
le Model 245-A: Version définitive qui intègre un train d'atterrissage et un crosse d'appontage ainsi que la capacité d'être équipé d'une coque pour être transformé en hydravion.
En développant son appareil l'avionneur argumente que ce dernier pourra être utilisé pour tous les types d'opérations militaires des USA.
En version hydravion, il pourra être employé sans nécessité le déploiement d'un groupe aéronavale.
Sur porte-avions il pourra être constitué en groupe de combat de neuf appareils depuis un USS United-States Class.
Cette même version peut ensuite rallier soit une base à terre soit un porte-avions.
L'appareil peut également être déployé directement depuis un porte-avions puisqu'il peut être catapulté ou encore tout simplement depuis une base à terre.
En bref, Glenn Martin veut faire passer un grande souplesse d'emploi de son appareil.
Dans le cas d'utilisation de la version hydravion, Glenn Martin envisage un ravitaillement en carburant par un ou des sous-marins pour permettre à son Model 245 d'atteindre ses objectifs.
Sur le papier cette contrainte n'est pas énorme, par contre en déploiement opérationnel, la chose aurait surement été plus complexe, outre une mer calme pour permettre à l'appareil d'amerrir et de déjauger, il aurait fallu une navigation des plus précise pour ne pas louper le point de rendez-vous, surtout que nous sommes en 1948 et, l'air du GPS est encore loin.
La version 245-2 est sans doute la plus improbable.
L'appareil une fois catapulté et débarrassé de son train d'atterrissage largable, aurait effectuer sa mission avant de retourner se posé au près d'un sous-marin, d'un porte-avions ou tout autre batiment de l'US Navy, pour être purement et simplement abandonné par son équipage.
L'appareil n'aurait en effet été pourvu d'aucun moyen d'atterrissage, la seul solution aurait été un amerrissage de fortune.
La version 245-A est sans doute la plus abouti et la plus polyvalente.
Capable d'évoluer en tant qu'hydravion, l'appareil peut être récupéré par un porte-avions.
Il peut également ne pas être équipé de sa coque largable et opéré depuis une base à terre ou être catapulté.
Lorsqu'il est en version hydravion le Model 245 dispose d'une dérive classique sur sa partie aéronef et d'un empennage en V sur la coque largable.
L'appareil est par contre dépourvu de toutes gouvernes de profondeur, l'axe de tangage étant assuré par les gouvernes de l'aile delta.
Pour lui permettre de déjauger à pleine charge, le Model 245 est doté de fusées d'appoint JATO.
Une autre particularité de la version hydravion est le concept de la soute à bombes.
Comme la coque est largué après le dernier ravitaillement en mer par un sous-marin, cette dernière ne comporte aucun aménagement permettant le largage des bombes.
Le Model 245 a donc une soute qui dispose de trappe sur le ventre de l'appareil (jusque là ... c'est logique) mais également sur le dessus du fuselage.
En effet, comme la coque une fois en place ne permet d'accéder à la soute, il faut bien faire entrer les bombes par quelque-part.
La soute à bombe est donc entièrement amovible.
Une fois reçu son chargement en bombes, elle est amené via une grue dans son emplacement par une ouverture sur le dessus du fuselage, deux énormes trappes s'ouvrant sur quasiment toute la longueur de la voilure et la largeur du fuselage pour permettre la mise en place de la soute à bombes.
Bien que prévu pour être embarqué sur les porte-avions, Glenn Martin ne dote pas son appareil d'une voilure repliable.
Avec 31,5 mètres d'envergure, le Model 245 aurait donc embarqué sur les porte-avions, sans jamais pouvoir être stocké dans les hangars en raison de sa taille qui lui interdisait toute utilisation d'ascenseurs.
De plus, sa mise en œuvre sur les porte-avions USS United-States Class aurait bloqué l'utilisation du pont d'envol, jusqu'au catapultage du dernier de ces avions d'attaque.
On se rend bien compte qu'avec cet "oubli", la société Glenn Martin n'a pas su apprécier à sa juste mesure les impératifs des appareils embarqués.
Enfin, l'appareil ne tient compte de pratiquement aucune des directives de l'OS 115, l'US Navy fait remarquer à Glenn Martin que son projet est peut-être doté des meilleures intentions mais, qu'elle n'est absolument pas intéressé par ce concept.
Glenn Martin repart donc avec son projet d'hydravion qui n'aura pas dépassé le stade des essais en soufflerie.

Sources National Archives
Le Glenn Martin Model 245 en chiffres (version hydravion)
Longueur de l'appareil: 26,1 mètres
Longueur de la coque: 30,4 mètres
Envergure: 31,5 mètres
Hauteur de l'appareil sans la coque: 5,52 mètres
Hauteur appareil composite: 11,15 mètres
Masse maximum (avec coque): 55 258 kg
Masse en charge au décollage(version embarqué): 47 688 kg
Masse à l'amerrissage: 30 696 kg
Masse à vide avec coque / sans coque: - - kg / 18 165 kg
Masse à vide version embarqué: 20 546 kg
Motorisation:
4x Westinghouse XJ-40-WE-6 de 3 405 kgp
Vitesse maximum: Mach 0.95
Vitesse de croisière avant objectif: 992 km/h
Vitesse de croisière après objectif: 966 km/h
Vitesse ascensionnelle: 1 365 m/min
Vitesse de décrochage: 176 km/h
Plafond pratique: 13 950 mètres
Rayon d'action: 1 916 nautiques
Armement:
4 454 kg de bombes conventionnelles ou nucléaires
Sources: Secret aerospace projects of the US Navy, Volume 1 de Jared A. Zichek